Héros local
Un geste du menton
Me montre l’homme gris.
Il se détache à peine
Sur les murs du Pont Noir.
Et l’accent de mon père
Ses « a » ouverts à deux battants :
« Tu le vois celui là ?
Lui, c’est un héros. »
Un héros ?
Déception.
Il est petit, un peu voûté
La casquette vissée sur un bout de mégot :
Un comme il y en a tant
Dans mon quartier d’alors.
Pourtant,
Un jour d’un autre temps
Il est parti au courage
Comme on prend le poste du soir.
Dans la musette, un pain
Fait de déflagrations
Celles qui vont trouer l’air de la vallée captive
Où depuis bien longtemps
L’usine forge les armes.
Le même métal, les mêmes adversaires
Dont la guerre a saisi les ateliers
Les machines ont changé de cible
Le laminoir est passé à l’ennemi.
Alors le héros maigrichon, quelques autres avec lui
Referment en une seule explosion
Les portes de l’enfer
Tandis que s’ouvrent pour lui
Celles d’un wagon
Et la mâchoire avide d’un camp.
Ange, le nom secret
Anges, leur nom révélé.
Il aurait fallu,
Car ici on sait faire,
Entrelacer ses jours de rubans de mercis
Lui forger un reste de vie plus lisse que l’acier
Fondre en un creuset de gratitude ses souvenirs du mal
Moi je sais, depuis ce jour là,
Qu’ici les héros ne dépassent pas de leur casquette
Et vont en silence
Dans la grandeur éblouissante de ceux qu’on ne voit pas.
